Dans une tribune à paraître dans le journal Le Monde
daté de demain, François Bayrou rétablit dix vérités essentielles à ses
yeux sur la réforme du collège.
Il ne faut pas renoncer au collège
unique. Mais faire suivre à tous les élèves le même cursus pédagogique,
c'est se condamner à en maltraiter un grand nombre.
1 - La crise du collège
n'est pas une crise du collège. Les problèmes que rencontrent nombre
d'élèves dans les quatre premières années de l'enseignement secondaire
proviennent en fait des lacunes non résolues dans l'enseignement
primaire, notamment et d'abord les blocages devant la lecture et
l'expression écrite et orale. Refuser d'en tenir compte en traitant le
collège comme un problème en soi, c'est courir à l'échec.
2 - Le collège unique
n'est pas la question, la question c'est le collège uniforme. Je suis
moi-même l'auteur dans les années 1990 de la formule " collège unique,
collège inique ", mais c'était une formule approximative. Le collège
unique a été conçu, très justement, dans le septennat de Valéry Giscard
d'Estaing, pour échapper à la discrimination dévalorisante entre lycées
et collèges d'enseignement secondaire (CES, urbains) et collèges
d'enseignement généraux (CEG, ruraux). Il est juste que tous les élèves,
à l'instar de l'école élémentaire, suivent le même cycle d'enseignement
secondaire et cela ne peut être remis en cause. En revanche, faire
suivre à tous les élèves, quel que soit leur niveau, le même cursus
pédagogique, c'est se condamner à en maltraiter un grand nombre.
3 - Cette réforme est
mal inspirée, elle supprime ce qui marche et généralise ce qui ne marche
pas et ne marchera pas. Sous le prétexte que 15 % à 25 % d'élèves
seulement profitent d'un certain nombre d'options et d'organisations
pédagogiques, on les supprime. La démarche juste et respectueuse des
principes de l'éducation nationale aurait été d'ouvrir ces options et
ces formations à un plus grand nombre.
4 - Condamner à mort le
latin et le grec, c'est amputer des générations. Le latin et le grec ne
sont plus des disciplines à part entière dotées d'un horaire. Pourtant,
la culture française s'est construite, au travers des siècles, sur la
fréquentation de ces deux langues mères du français et des autres
langues occidentales. Nous parlons latin quand nous parlons français,
espagnol, italien, ou toute autre langue romane régionale ou nationale,
et ce latin-là a trouvé aussi une descendance dans les langues
germaniques modernes, anglais, allemand, etc., notamment par la
rencontre du français.
Nous parlons grec dans tout le
vocabulaire scientifique, notamment médical, technique et philosophique
du monde. Une connaissance, même scolaire, de ces deux langues mères
apporte à l'esprit qui se forme, sans même qu'il s'en aperçoive
vraiment, le sens de l'étymologie, le goût de la nuance, un début de
maîtrise de l'expression. La longue chaîne des écrivains et des penseurs
français s'est constituée avec ce point commun de leur commune
connaissance des langues et des littératures latine et grecque.
5 - Amoindrir
l'enseignement le plus attractif des langues vivantes, c'est une
régression. Les classes européennes, les classes à deux langues
vivantes, les options de langues régionales, le bain linguistique
précoce, tout cela était un indiscutable progrès. C'était pour les
établissements un signe de qualité, dont ils étaient fiers. Par
détestation d'un prétendu " élitisme ", on saccage le travail de bien
des années et de bien des enseignants.
6 - L'enseignement des
langues régionales ne se relèvera pas de cette démolition. Le travail
sur la transmission des langues de France, alsacien, basque, breton,
corse, catalan, créoles, occitan, est peut-être indifférent à beaucoup.
Mais il est précieux pour de larges parts de notre peuple. Il a été,
depuis plus de vingt ans, l'objet d'un effort continu, souvent à
contre-courant. L'organisation proposée du collège ne laissera plus de
place à cet effort de transmission.
7 - Et tout cela pour
quoi? Le ministère est très fier de brandir comme étendard de sa réforme
les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), systématisés et
obligatoires. Rendre l'interdisciplinarité contrainte et obligatoire, à
l'endroit et à l'envers, c'est une mode. L'interdisciplinarité peut être
utile, éclairante pour les élèves, à condition qu'elle soit de
l'initiative des enseignants et suffisamment souple pour qu'ils s'y
investissent.
La réforme fait le contraire : elle
choisit arbitrairement huit thèmes, dont six seront obligatoires, à
raison de deux à traiter chaque année de la 5e à la 3e, ce qui laisse,
au mieux, quatre mois par thème sur l'une des trois années (5e, 4e et
3e) à raison d'une à deux heures par semaine, avec des enseignants
convoqués pour les traiter, volens nolens. Ce menu obligatoire est
composé de huit thèmes, dont voici la disparate liste :corps, santé,
bien-être et sécurité; culture et création artistiques; transition
écologique et développement durable; information, communication,
citoyenneté; langues et cultures de l'Antiquité; langues et cultures
étrangères ou, le cas échéant, régionales (!); monde économique et
professionnel; sciences, technologie et société.
Je demande à tout adulte de bonne foi, à
tout étudiant, à tout enseignant de se demander ce qu'en quelques
semaines on peut faire, à plusieurs professeurs, du thème " langues et
cultures étrangères ou le cas échéant régionales " avant de l'abandonner
pour passer à " corps, santé, bien-être et sécurité ".
8 - En plus, c'est
inapplicable! Comment imaginer que tous les principaux de collège
puissent élaborer des emplois du temps qui permettent à plusieurs
enseignants de disciplines différentes, volontaires ou pas, de se
trouver devant les mêmes classes aux mêmes heures? Et les professeurs
qui ont la charge de six ou huit divisions, devront-ils participer à
autant d'EPI? En plus de la préparation des quinze ou dix-huit heures de
cours hebdomadaires, des conseils de classe, des conseils
parents-élèves, des corrections de copies, des réunions de concertation
disciplinaire ou par classe?
9 - Quelles sont les
conséquences de cette " réforme "? La conséquence, c'est une aggravation
de la discrimination sociale. Le contrat moral de l'éducation
nationale, c'était le " meilleur offert à tous ". Non pas garanti à
tous, bien sûr, mais offert à tous. Les moins armés devaient être
assurés d'un socle de connaissances, et les plus allants, d'où qu'ils
viennent, et où qu'ils vivent, devaient pouvoir aller aussi loin que
possible. C'était tout le sens des options ou des cursus linguistiques.
Egalité sur le territoire et égalité des chances.
Cette organisation qu'on prétend imposer
aura une conséquence mécanique : ce que le collège ne transmet plus,
les établissements privés ou les cours particuliers l'assureront à
quelques-uns. Ceux qui auront les moyens, culturels ou matériels. C'est
une loi en économie, la mauvaise monnaie chasse la bonne : l'idéologie
égalitariste fait reculer l'égalité.
10 - Alors que faire?
Il faut se mobiliser. Nous avons une année pour le faire. Le
gouvernement table sur la résignation de beaucoup. De très nombreux
intellectuels, rangés pour cette raison dans la catégorie des " pseudos
", des écrivains, des responsables politiques, des enseignants, des
parents d'élèves de toutes organisations, des élèves et d'anciens
élèves, ce que nous sommes tous, ont dit leur inquiétude ou leur colère.
Ils ne cherchent aucun intérêt, ni corporatiste ni partisan, ils
défendent ce qu'ils croient précieux pour les élèves et pour l'école
française.
Il suffit qu'ils se groupent et
s'expriment ensemble pour que ce texte imposé, jamais discuté, jamais
voté dans la loi, au contraire de ce que dit faussement le gouvernement,
soit retiré et repris, calmement, comme il doit l'être.
François Bayrou
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