Cinq ans après sa fermeture, l'usine pharmaceutique se raconte dans un livre inspiré du récit de soixante anciens salariés.
SIMONE, Annick, Martine, Brigitte, André, Bernadette, Thierry... Il fallait les voir il y a quelques semaines découvrir en avant-première les livres alignés sur une table à la bourse du travail de Bobigny : « Bien sûr que c'est émouvant. C'est notre travail ! » Celui des anciens de l'usine pharmaceutique Roussel- Uclaf (devenu Aventis), désormais raconté dans l'ouvrage « Notre usine est un roman » qui sort aujourd'hui en librairie.
Il retrace près d'un demi-siècle de l'histoire de l'un des principaux sites industriels du 93, de 1967 jusqu'à sa fermeture il y a cinq ans. Lourde tâche pour l'écrivain Sylvain Rossignol, embauché en 2006 par une association d'anciens salariés et syndicalistes CGT. Privé d'archives, il n'a pour matériau que les souvenirs des ex-employés. Soixante d'entre eux se sont confiés lors d'entretiens qui ont duré plusieurs mois. « J'avais mille pages de notes », se souvient-il.
Fondée en 1920
Mais au moment de passer à l'écriture, Sylvain Rossignol s'interroge : comment ne pas heurter la sensibilité de ceux qui lui ont confié leurs souvenirs les plus intimes ? L'écrivain imagine une dizaine de personnages inspirés de salariés réels. Au fil des pages, on suit donc le destin d'Isabelle, jeune chimiste entrée à Roussel-Uclaf en 1967, de Gisèle, toute jeune fille embauchée au conditionnement des médicaments, de Pierre et Mathilde, syndicalistes CGT et militants PC, de Marianne, la standardiste des années 1990 qui n'échappera pas à la vague de licenciements... « Tout ce qui est essentiel est vrai », assure l'écrivain.
Aux scènes du quotidien se mêle la grande histoire, la grève de 1968, l'élection de François Mitterrand en 1981. On entrevoit ce que fut l'immense usine fondée en 1920, avec ses cheminées, sa « Ferme » où l'on élevait chevaux et cochons dont le sang servait pour les médicaments. Une usine aux accents paternalistes, où la direction offrait « montre pour les hommes et bague en or pour les femmes après vingt ans de maison », tout en surveillant de près l'activité syndicale. Sylvain Rossignol retient aussi « l'immense attachement des gens à leur travail », dans cette fabrique où fut notamment mise au point la pilule abortive RU 486. Le livre retrace enfin la mobilisation des salariés contre la fermeture du site, annoncée dès 1998, et montre ce qu'ils sont devenus depuis.
Gwenael Bourdon
mercredi 30 avril 2008 | Le Parisien
EXTRAIT
Les conditionneuses. « Il faut plier le carton puis positionner chaque ampoule dans le carton crénelé sans les faire tomber et enfin glisser le tout dans l'étui en veillant à ne pas casser les embouts contre les parois. Un travail qui requiert rapidité et délicatesse. Tous les médicaments phares de la décennie ou presque passeront entre les mains de Gisèle (...). »
« Y a le malade qui attend ». « Quand il faut se remettre au travail après la pause de midi ou pour signifier à un camarade qu'il faut abréger la conversation, on utilise (...) cette expression. Une manière d'affirmer que l'on travaille pour le médicament et qu'à son poste (...), on est attendu par un malade peut-être en sursis qui, lui, n'a pas tout son temps. »
La Ferme. « La matinée est belle et ensoleillée. Le ciel est celui d'un matin d'été (...). Mais une brume fraîche monte des pâturages de l'ISH. L'institut porte bien son surnom de la Ferme : l'humidité avive les odeurs d'herbe mouillée, de crottin de cheval. »
1998 : fermeture annoncée du site. « La lutte a commencé par la colère. Les rapports Monitor et ensuite du Boston Consulting Group expliquaient qu'il fallait fermer Romainville non pas à cause d'un manque de performance - personne n'aurait pu soutenir une chose pareille - mais pour des questions de synergie, de stratégies mondiales. Les salariés se sont sentis bafoués. »
« Notre usine est un roman », Sylvain Rossignol (Ed. la Découverte),
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire